Hello Art Up : des musées virtuels créateurs de liens pour les seniors
Très belle initiative que celle de la start-up Hello Art Up, lancée en octobre 2022 par Laetitia Portal. Cette ancienne cadre de 48 ans travaillait dans le secteur des audioguides. Après une période de chômage, l’ancienne salariée a osé le pari de l’entreprenariat. Son idée ? Un musée virtuel sur-mesure destiné aux seniors en Ehpad et en résidences services pour favoriser les liens intergénérationnels. Lauréate 2023 du prix Émergence de la Fondation Audiens Générations, elle nous dévoile la genèse et le processus de création de son concept.
Pourquoi ce nom ?
Au moment de lancer le projet, je me suis appuyée sur des groupes de seniors qui ont exprimé leur aversion sur les noms jouant sur l’âge ou les grands-parents. Pour éviter cet écueil et soucieuse d’un développement à l’international, j’ai donc choisi Hello Art Up.
Votre offre en résumé ?
Hello Art Up est un Musée Virtuel Inclusif (MVI), destiné aux Ehpad. Les résidents, les salariés de l’établissement et les familles vont partager par le biais d’une capsule sonore, une de leurs œuvres préférées, issue du patrimoine culturel – peinture, sculpture, musique, variété, littérature, théâtre, etc. – ou naturel. Mais ce peut être aussi l’évocation d’un objet issu du quotidien, l’expérience d’un ancien métier… Sous chaque capsule, on indique le prénom (famille, résident ou salarié) et celui de l’œuvre ou du sujet présenté.
La genèse de cette idée ?
J’ai accompagné mon grand-père qui était atteint de la maladie d’Alzheimer : lorsque je lui parlais de mes voyages et de mes visites de musées, il m’écoutait mais sans plus d’intérêt. En revanche, lorsque je le faisais parler, il avait un vrai plaisir à raconter ses souvenirs de la campagne nivernaise, sa passion pour les vieilles pierres… Tout cela le réjouissait. J’ai compris que pour un certain public, donner la parole en totale auto-détermination est essentiel. C’est la pédagogie inversée. Après la phase de prototype, j’ai fait mûrir mon projet en passant par une couveuse, avant d’immatriculer ma start-up en octobre 2022. Ce projet correspond à tous les publics et peut être entièrement personnalisable. L’objectif est de créer un support de restitution réunissant toutes les œuvres d’une grande famille.
Quelles sont les étapes pour réaliser un musée virtuel ?
Lors de la présentation du projet dans l’établissement, on recueille les souhaits des personnes qui veulent participer. Alors que les résidents sont davantage dans l’occupationnel, on leur demande ici de se livrer plus intimement. La magie s’opère assez vite et le bouche à oreille se met en place : « Vous devriez avoir untel, il a une incroyable collection de fossiles ! » Pour que chacun d’eux s’autorise à parler, la maïeutique est nécessaire. Ainsi dans la même journée, je vais recueillir des témoignages d’une grande diversité et richesse. Outre ceux des résidents, il y a ceux du personnel et de la famille. Puis pour le rendu de la visite virtuelle, nous passons une demi-journée avec les résidents qui vont manipuler et construire, sur la plateforme, le jumeau numérique de leur résidence.
Comment se matérialise ce musée virtuel ?
Outre la vidéo d’une heure qui reprend la déambulation avec les capsules, le lien numérique créé sur la plateforme, permet d’effectuer la visite virtuelle sur smartphone, tablette ou écran d’ordinateur. Enfin, on peut mettre en place une exposition au sein de l’établissement, en matérialisant les œuvres sur un support physique (de format A2 ou A3). Le toucher va être rendu à travers des effets de matière et de relief, tandis que des QR codes renvoient vers les capsules sonores. Cela me donne l’occasion d’expérimenter des approches nouvelles, comme le recours à l’Intelligence Artificielle pour construire une image. Récemment à partir d’un prompt qui reprenait les mots d’une résidente autour d’un souvenir d’un coucher de soleil sur le lac de Garde, j’ai obtenu un résultat bluffant. Elle-même n’en revenait pas. Cela amuse beaucoup les résidents.
Comment peut-on visiter ce musée virtuel ?
Le projet finalisé donne lieu à une inauguration avec une heure de film suivi d’échanges. Le vernissage permet d’inviter tous les résidents, leurs proches, le personnel mais aussi des élus (maires, députés et bientôt, on l’espère, des ministres), des associations, des scolaires, etc. Ce musée est une œuvre collective qui, dans la durée, nous échappe car il sera visité par des centaines, voire des milliers de personnes, via le site de l’établissement et le partage sur les réseaux sociaux.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces collections que vous faites naître ?
J’ai rencontré une résidente qui était cantatrice : elle s’est mise à déclamer un extrait de Carmen. Une autre qui exerçait le métier mécanographe – elle perforait les cartes qui servaient aux premiers ordinateurs – s’est souvenue de la venue d’un professeur de la Sorbonne dans l’entreprise, c’est lui qui avait suggéré de baptiser ces machines : « ordinateurs » ! Nous avons aussi eu des témoignages liés à l’évacuation de 1940 de Lille vers Nantes ; en écho, cela a fait réémerger des souvenirs identiques parmi les anciens de la résidence voisine.
Quelques exemples insolites du côté du personnel ?
Je pense à cette aide-hôtelière qui est une catcheuse à haut niveau, ou bien encore à l’un des cuisiniers qui est peintre et expose ses œuvres dans l’établissement. Enfin, dernièrement, j’ai interviewé une directrice d’établissement qui fabrique ses propres voitures de A à Z (à l’exception du moteur) ! Elle redécoupe les carrosseries et rénove l’intérieur en sollicitant différents artisans.
Comment intégrez-vous les résidents moins valides ?
Nous allons visiter les résidents qui ne quittent presque plus de leur chambre (soit 40% d’entre eux) pour recueillir leurs témoignages. Quand ils ne sont pas familiers des tablettes et du maniement du numérique, ils auront accès à la vidéo. Cela permet ainsi d’intégrer sans exception tous les résidents qui souhaitent participer au dispositif.
Quels sont les effets produits ?
Cela crée des liens et permet de mettre en lumière des personnes dont on n’aurait pas imaginé les passions et les talents. J’ai le cas de cette centenaire qui ne quittait plus sa chambre, appréhendant de se retrouver avec des personnes en fauteuil. C’est en écoutant le témoignage d’un résident qui parlait avec passion du musée d’Orsay, qu’elle-même férue d’histoire – elle avait fait une capsule sur Aliénor d’Aquitaine -, a eu envie de faire sa connaissance. Celui lui a redonné une dynamique au point de vouloir prendre ses repas en salle et de s’alimenter avec un meilleur appétit.
À partir de quel budget, un établissement peut envisager se lancer dans ce projet ?
Il y a des forfaits à partir de 10 capsules, 15, 25 et ce jusqu’à 100 capsules (4 x 25). En souscrivant à un abonnement mensuel de 60 euros HT, on peut enrichir le musée virtuel d’une capsule supplémentaire pour l’arrivée d’un nouveau résident, d’un nouveau collaborateur. Le forfait de 25 capsules (6 185 euros HT) est celui qui est le plus souvent choisi. Il se déroule sur 3 jours incluant les interviews et la demi-journée pour créer le « jumeau numérique » de la résidence. Cela ne comprend pas les impressions, ni les frais de déplacements, quand le tournage n’est pas en région parisienne.
Vos ambitions pour Hello Art Up ?
L’objectif est de positionner Hello Art Up comme l’acteur de la culture et des personnes âgées. Avec la levée de fonds prévue en 2024, je souhaite pouvoir déployer notre offre dans des services de gériatrie et d’autres pays voisins comme l’Allemagne, l’Espagne. Enfin, grâce au projet MUSE’IF, nous allons développer une solution, d’ici fin novembre, destinée aux personnes âgées autonomes de plus de 55 ans, toujours en lien avec la culture, sur la région Ile-de-France.